Grasset - Août 2016 - 157 pages
"Il faut bien que toutes les horreurs du monde enfantent des printemps si nous voulons durer au-delà du chagrin".
Le narrateur est encore un enfant quand son petit frère perd la vie subitement. Le temps qui passe aurait dû atténuer un peu le chagrin de tous mais la mère refuse de prendre acte de la disparition de son fils et s'installe dans le déni. Le père, forgeron, prend de la distance vis-à-vis du foyer tout comme la sœur aînée qui choisit de partir pour ne pas sombrer. S'instaure alors, aux confins de la folie, une relation à trois : la mère, le narrateur et le fantôme du petit frère.
Avant le drame, la famille vivait heureuse, au rythme de la forge. Quand il ne regardait pas sa grand-mère écorcher des grenouilles, le narrateur aimait s’asseoir dans l'atelier pour admirer le travail de son père et de l'ouvrier à moto, le beau Jacky. La beauté flamboyante de la forge, lieu magique pour l'enfant, n'est sans doute pas étrangère au goût qu'il développera plus tard pour la création artistique. Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette histoire, merveilleusement racontée à la façon d'un conte, mais peut-être vaut-il mieux se laisser porter par les mots de l'auteur, sans savoir dès le départ où il va nous mener.
L' écriture, poétique, peut poser quelques difficultés au début du roman. Il faut être patient et laisser l'auteur planter le décor et présenter ses personnages. L'écrivain donne ici ou là quelques indices qui plus tard éclaireront l'histoire. La seconde partie se lit dans un souffle, le style s'efface au profit de histoire. Une fois l'ouvrage terminé, j'ai éprouvé le besoin de le relire dans la foulée. J'avais la sensation de ne pas avoir suffisamment savouré ce texte, d'une beauté époustouflante.
Plutôt qu'une phrase de conclusion, voici un exemple du style remarquable de l'auteur :
"Souvent il arrivait que papa et Jacky martèlent de concert. Pas un mot, pas un cri, juste des souffles mêlés comme font les amants. De lourds coups sur l’acier, de petits sur l’enclume, en rythme cadencé, sorte de concerto pour enclume et marteaux où la basse continue n’était autre que celle de leurs respirations. Et puis ces escarbilles, toujours ces escarbilles, petites étoiles filantes que chacun d’eux apprivoisait pour qu’elles n’aillent pas, comme des baisers voraces, mordre le corps de l’autre".
C'est Laure qui m'a donné envie de découvrir ce très beau texte.
Leiloona est également conquise.