
23/08/2017 - Stock - 350 pages
Gabriële Buffet-Picabia (Gaby) est l'arrière-grand-mère des co-auteures. Si son nom vous est inconnu, il en était de même pour moi avant lire ce récit. Les deux soeurs Berest n'ont pas connu leur ancêtre, pourtant décédée bien après leur naissance. Leur mère n'avait pas de contact avec sa grand-mère et n'avait pas souhaité la présenter à ses filles. Une fois adulte, les sœurs ont voulu savoir qui était cette femme mystérieuse et quelle était son histoire.
Gabriële Buffet a 27 ans quand elle rencontre le peintre Francis Picabia. Musicienne, très indépendante pour une jeune femme de sa génération, elle a un caractère bien trempé et une intelligence hors du commun. Sa rencontre avec Francis va bouleverser le destin qui s'offre à elle. La jeune Gaby plaque la musique pour se mettre au service de son futur mari dont elle pressent le talent exceptionnel. La complicité intellectuelle du couple est parfaite au point qu'ils finissent par ne faire qu'un. Pour autant, leur vie est loin d'être idyllique car Francis est un être torturé, qui a un besoin constant d'être encouragé et stimulé.

Gabriële s'oublie. Elle est l'épouse, la muse, l'organisatrice de la carrière de son mari. "Elle déplace des montagnes pour les autres mais il lui manque la force de pousser une porte pour elle-même". La vie du couple est mouvementée. Francis Picabia ne lui laisse pas de répit, ne se gène pas pour la tromper. Elle accepte la situation, considérant ce besoin d'aller voir ailleurs comme une composante de l'équilibre de l'artiste. Pendant ce temps, Gaby ne se morfond pas chez elle. Elle abandonne ses enfants pour défendre les intérêts de son mari, s'il le faut à l’étranger. Elle fréquente le milieu artistique, seule ou avec Picabia. C'est une femme en très avance sur son temps, qui n'hésite pas à se rendre seule aux Etats-unis, par exemple.

Ce récit m'a passionnée de bout en bout. C'est un beau voyage dans le temps, qui revisite une époque sous l'angle de ses artistes. Nous croisons Apollinaire, Marcel Duchamp, Picasso, Marie Laurencin, Isodora Dukun... Nous découvrons la naissance du dadaïsme et l'esprit provocateur de ceux qui portent le mouvement. Parmi eux se trouvent les Picabia. La vie de Gaby est à la fois passionnante et frustrante, preuve qu'il est difficile de tout réussir dans une vie. Ce que Gabriële mettra de côté, outre sa vocation pour la musique, c'est son rôle de mère. Elle considère ses enfants comme un fardeau. Son mari ne s'y intéresse pas davantage. Les enfants en souffriront.

Dans le récit se glissent régulièrement quelques éléments de réflexion des co-auteures. Sont elles légitimes à écrire ce portrait ? En montrant l'admiration qu'elles ont pour leur arrière-grand-mère, ne trahissent-elles pas leur mère et grand-père, qui tous deux ont souffert des manquements de Gabriële ? J'ai pas pas eu ce ressenti. On sent dans la démarche des co-auteurs une recherche constante d'objectivité. En atteste le partage avec les lecteurs de leurs doutes, de leurs questionnements.
Je vous conseille sans hésitation de découvrir ce beau portrait d'une femme hors du commun.
J'ai décidé, pour le moment, de ne pas attribuer de coups de coeur à mes lectures de cette rentrée. Je le ferai avec un peu de recul mais sans nul doute, cette oeuvre fera partie de mes plus belles lectures de cette saison littéraire.