
90uchet-Chastel 2018 - 213 pages
"Joaquim ignorait que le temps emporte tout, et que très peu de fratries résistent au courant de devenir adulte. Passé un certain âge, la plupart des frères et soeurs ne partagent plus que des souvenirs qui coïncident rarement. Pourtant, à la mort de l'un, à la mort de l'une, fût-ce à des âges canoniques, ce n'est jamais que celui ou celle de la petite enfance qu'on enterre : cette cadette dont l'arrivée provoqua une perte jamais compensée, cet aîné dont on chercha sa vie entière à se faire aimer".
Joaquim sillonne le monde comme photographe reporter. Quand il reçoit un message lui annonçant le décès de son père, le passé refait surface. Dans le train qui le mène à Rouen pour régler la succession, il se remémore les faits qui l'ont mené à couper les ponts avec ce qui lui restait de famille. L'élément déclencheur de la désagrégation familiale a été le suicide de la soeur de Joaquim mais des failles existaient auparavant, nous les découvrons au fil du roman.
Joaquim revient également sur la période qui a marqué le début de sa fuite en avant. A vingt ans, pour fuir une ambiance familiale devenue insoutenable, il s'envolera pour Sarajevo. Nous sommes dans les années 90, les Balkans sont à feu et à sang. Joaquim est hébergé dans une famille qui le prend sous son aile et lui permet d'être au plus près du quotidien des habitants de la ville.
Je n'ai compris le titre du roman qu'à la toute fin de l'histoire. En faisant quelques recherches, j'ai découvert que "Miss Sarajevo" était le titre d'une chanson de U2, sortie en 1995. Pavarotti, invité par le groupe, y chante un solo d'opéra. La chanson fait référence à un concours de beauté organisé dans un Sarajevo assiégé, acte de résistance très marquant. J'avoue que je ne connaissais ni cette chanson, ni son histoire (ou alors je les ai oubliées !).
C'est un roman bien écrit et intéressant qui mèle la petite et la grande histoire. Sans avoir été jusqu'au coup de coeur, comme Antigone, j'ai trouvé qu'il y avait de très beaux passages sur le deuil, la fratrie mais aussi sur la guerre. Ingrid Thobois a assurément une belle plume et beaucoup de finesse dans l'analyse des sujets traités.
Un bon roman de cette rentrée.
Je vous laisse avec le clip de "Miss Sarajevo" dont les images d'archive illustrent bien l'ambiance de la partie "Sarajevo" du roman .
