Pol - 1995 - 165 pages / existe aussi en poche (Folio)
Au salon du livre ce Carhaix, sur le stand de la petite maison d'édition Diabase, j'ai acheté un peu par hasard, un livre d'entretiens réalisés avec Charles Juliet (par la co-éditrice). Une participante de mon comité de lecture et admiratrice de l'auteur, après avoir lu mon compte-rendu du salon, m'a prêté le récit autobiographique "Lambeaux". Parmi le groupe de lecture que nous sommes, elle était la seule à avoir lu cet auteur pourtant talentueux et que l'on étudie maintenant au lycée.
On peut mettre une vie entière à tenter de guérir des blessures de l'enfance. C'est le cas de Charles Juliet. Séparé de sa mère à l'âge de 3 mois, il a découvert son existence le jour où elle quittait ce monde. Il avait huit ans. Sa famille d'accueil, pourtant très aimante, ne pourra éviter la culpabilité de Charles vis à vis de sa mère biologique dont le destin a basculé en tragédie, un peu par sa faute à lui. Elle n'a pas supporté psychologiquement la naissance de ce quatrième enfant non désiré.
Dans une première partie, il dresse le portrait de cette mère qui rêvait d'un destin différent de celui des paysans laborieux de l'époque. Elle a fini ses jours dans un hôpital psychiatrique, dans des conditions effroyables. La seconde partie est consacrée à la propre histoire de l'auteur. Il nous raconte son enfance auprès la mère adoptive qu'il a aimé plus que tout. Il évoque aussi son adolescence perturbée et sa difficulté à se construire.
C'est un récit épuré qui raconte la souffrance de deux êtres qui se cherchent. Les mots sont soigneusement choisis, l'écriture est belle et classique. A noter, l'utilisation du "tu" qui surprend toujours un peu, mais que personnellement j'aime beaucoup. Ce "tu" interpelle le lecteur, ce qui va être dit sera très fort. C'est une lecture qui donne envie d'en savoir plus sur un homme qui a réalisé, pendant des années, un long travail d'introspection avant d'atteindre la sérénité à laquelle il aspirait.
Deux extraits pour la beauté de l'écriture et la profondeur des propos :
"Un jour, il te vient le désir d'entreprendre un récit où tu parlerais de tes deux mères
l'esseulée et la vaillante
l'étouffée et la valeureuse
la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée.
Leurs destins ne se sont jamais croisés, mais l'une par le vide créé, l'autre par son inlassable présence, elles n'ont cessé de t'entourer, te protéger, te tenir dans l'orbe de leur douce lumière.
Dire ce que tu leur dois. Entretenir leur mémoire. Leur exprimer ton amour. Montrer tout ce qui d'elles est passé en toi."
"Depuis cette seconde naissance, tout ce à quoi tu aspirais mais qui te semblait à jamais interdit, s'est emparé de tes terres: la paix, la clarté. la confiance, la plénitude, une douleur humble et aimante. Parvenu désormais à proximité de la source, tu es apte à faire bon accueil au quotidien, à savourer l'instant, t'offrir à la rencontre. Et tu sais qu'en dépit des souffrances, des déceptions et des drames qu'elle charrie, tu sais maintenant de toutes les fibres de ton corps combien passionnante est la vie"
Je n'ai pas encore attaqué le livre d'entretiens mais je me réjouis à l'avance de ma lecture.
Merci à Marie-Cécile.