Phébus - 288 pages - Aout 2009
"J'étais la fille du Menuisier, je le savais. Jeanne, malgré sa folie, était plus normale que moi, côté filiation. Elle le nommait. Pas moi. Nous n'avions pas de mots l'un pour l'autre. Notre lien était un long fil continu que personne ne pouvait voir. Aucun mot ne s'y accrochait comme le font les notes sur une portée. Nous-mêmes en étions ignorants, seulement soupçonneux de sa présence tenace."
La narratrice est née sur le tard dans une famille où elle n’était pas la bienvenue. Nous sommes en Bretagne dans les années 50. Entourée d’une sœur souffrant d’un handicap mental, d’une mère triste et d’un père peu causant (surtout avec elle), son enfance est d’une monotonie à mourir. La seule personne un peu gaie qu’elle côtoie est sa grand-mère Mélie. Pour s’occuper, Marie s’évade par les livres, regarde inlassablement une photo accrochée au mur : celle d’un jeune enfant, le frère de sa mère, mort alors qu’il était enfant. La mort l’obsède, notamment celle des enfants. L’hiver elle vit à Brest, son père travaille à l’arsenal. L’été, elle le passe dans un « penn-ti »(petite maison), non loin de la mer. Un endroit qu’elle aime, mais que ses parents sont contraints de vendre alors qu’elle a neuf ans. Elle travaille bien à l’école, son père est fier d’elle, bien que le manifestant peu.
Ce livre relate les souvenirs d’enfance de la narratrice. J’y ai retrouvé bon nombre de souvenirs similaires aux miens. Plus jeune qu'elle d’une petite décennie, j’ai grandi également dans le Finistère. Pas une fois je n’ai eu à regarder la traduction des mots bretons qui se glissent dans le texte. Bien que ne parlant pas le breton, je les connais, je les ai entendu dans mon enfance. Mais il serait bien réducteur de limiter ce livre à un recueil de souvenirs car c’est bien plus que cela. Marie relate avec pudeur et douleur la longue enquête familiale qui l’a conduite à la découverte des lourds secrets du « Menuisier » (elle ne le nomme qu’ainsi). Cette quête fut difficile mais elle était vitale. Marie sentait inconsciemment qu’elle portait en elle le poids d’un passé qui, malgré elle, influençait ses choix de vie. Il lui fallait connaître l'histoire de sa famille.
Les regrets, exprimés ou sous-entendus, rendent le récit profondément émouvant. Marie s’en veut de n'avoir rien tenté pour aller vers son père, refusant même de répondre aux tentatives de rapprochement qu’il manifestait vers la fin de sa vie. Il n’a peut-être pas su qu’elle l’aimait, ça la rend inconsolable. C’est une lecture prenante et très éprouvante. L’écriture est d’une grande finesse, les mots d’une justesse incroyable. C’est un très beau livre dans lequel bon nombre d’entre nous se retrouveront. Ne sommes-nous pas tous plus ou moins marqués par notre passé familial ?
Un récit bouleversant.
Ils ont été bouleversés, eux-aussi : Bellesahi - Yvon - Cuné - Cathulu - Aifelle
Esmeraldae à un ressenti différent.
Merci à Cathulu.
3/7