Extrait : "Alors elle s'aperçut qu'elle n'avait plus rien à faire, plus jamais rien à faire. Toute sa jeunesse au couvent avait été préoccupée de l'avenir, affairée de songeries. La continuelle agitation de ses espérances emplissait, en ce temps-là, ses heures sans qu'elle les sentît passer. Puis, à peine sortie des murs austères où ses illusions étaient écloses, son attente d'amour se trouvait tout de suite accomplie. L'homme espéré, rencontré, aimé, épousé en quelques semaines, comme on épouse en ces brusques déterminations, l'emportait dans ses bras sans la laisser réfléchir à rien. Mais voilà que la douce réalité des premiers jours allait devenir la réalité quotidienne qui fermait la porte aux espoirs indéfinis, aux charmantes inquiétudes de l'inconnu. Oui, c'était fini d'attendre. Alors plus rien à faire, aujourd'hui, ni demain ni jamais. Elle sentait tout cela vaguement à une certaine désillusion, à un affaissement de ses rêves."
Grâce à la lecture audio, je relis des classiques. Ce sont parfois des découvertes, d’autres fois des relectures. C'est le cas d' "une vie", lu une première fois il y a bien longtemps, au lycée je crois. Je n'ai plus aucun souvenir de mon ressenti de l’époque. J’imagine qu'avec le recul de ma propre vie, il est différent aujourd'hui.
Il est question de la désillusion d’une jeune femme romantique et sans expérience qui épouse un homme séduisant au premier abord, mais qui très vite se montre sous un tout autre jour : avare, égoïste et infidèle. Troublée dès les premiers jours par les défauts de son mari, Jeanne trouve un peu de réconfort dans la présence auprès d’elle de ses parents. Fille unique, adulée et surprotégée, elle ne sait pas et ne saura jamais faire face à l’adversité. Nous sommes au 19ème siècle, l'ignorance des jeunes filles sur ce qui les attend est affligeante (la description de la nuit de noce de Jeanne est terrifiante). La maternité la regonflera d’espoir mais là encore la déception est au rendez-vous. La vie de Jeanne n’est donc qu’une suite d’illusions anéanties qui s'enchainent pour son malheur. Une lueur d’espoir arrive à la toute fin du livre mais Jeanne sera t'elle capable cette fois de saisir le bonheur qui se présente à elle ?
Le décalage entre le rêve et la réalité est parfois cruel. Ce qui frappe ici, c'est l'aveuglement de la jeune fille et son incapacité à réagir. Le conditionnement lié à l'éducation et un amour propre très développé sont sans doute les principales raisons de cette sorte d'inertie qui la paralyse. "Une vie" » est le premier roman de Maupassant. On pourrait croire qu’il est le fruit de l’expérience d’une vie, tant le récit parait juste. A noter les très belles descriptions du village de Yport (Haute Normandie), où se promène Jeanne. Des promenades qui la réconfortent un peu.
C'est une lecture qui m'a emportée comme un tourbillon, celui d'une vie qui file à toute vitesse et qu'il faut prendre en main sous peine de la subir. C'était vrai au 19ème siècle, c'est encore vrai aujourd'hui, d'une certaine façon...
Merci à Romy, lectrice bénévole de "Audiolivres". Pour écouter ce livre, c'est ici.