
Rouergue 2009 - 109 pages
Dans ce récit, le narrateur évoque son père, Abd El Kader, né en Algérie en 1917 et aujourd’hui disparu. Avec émotion, le narrateur raconte ce père illettré qui travaillait dur pour nourrir sa famille. « Par le fruit de tes mains nous avons mangé, cheminé vers l’instruction. ». Il raconte avec pudeur la relation qu’il entretenait avec lui, une relation qui se passait de mots. Ce père, privé très jeune de ses parents, ne témoignait son affection que de façon maladroite. Le narrateur aurait aimé dialoguer avec lui, partager sa passion de la lecture, mais un fossé les séparait.
« Tu regardais les rares livres qui traînaient chez nous, en évitant de les toucher, sans savoir ce qu’ils contenaient, ce qu’ils pouvaient contenir d’émotions et de troubles.
C’est triste une main d’homme qui n’a jamais tenu un livre entre les mains. »
Ce récit ne se résume pas à un très beau portrait de père. Il retrace avec intelligence et de façon captivante l’histoire coloniale et postcoloniale de l’Algérie, du point de vue d’un algérien qui vivait en France avant les « évènements », après avoir combattu sous le drapeau français durant la seconde guerre mondiale. Comme nombreux de ses compatriotes, le père d’Ahmed a collaboré à la reconstruction d’après-guerre, apportant ses mains et sa jeunesse à une France ravie de cette main-d’œuvre peu exigeante et bon marché. Mais dans les années soixante, retournement de situation, les algériens sont mal vus, soupçonnés d’être des terroristes. Plus tard, c’est la crise économique qu’ils prennent de plein fouet. Confinée dans la cité d’une grande ville après avoir vécu à la campagne, la famille d’Ahmed doit également subir la montée en puissance du fanatisme religieux.
« Avec la religion brandie comme unique étendard, ces pasteurs anachroniques envahissent les cités essayant de rassembler derrière leurs formules simplistes de plus en plus de fidèles... Quand insouciants, sur les pelouses de la cité nous dansions sur le son des guitares électriques, personne n'imaginait qu'un jour nous en arriverions là. A coups de sentences, ces prédicateurs balayent nos certitudes, piétinent nos acquis. Pour eux nulle liberté de penser, nous n'avons pas lu le même livre. »
Les derniers chapitres sont consacrés à la mort du père et à son dernier voyage au pays, où il a voulu sa dernière demeure, loin des siens. S’ouvre pour son fils le temps des souvenirs et des regrets. C’est très fort…
Un récit sensible et intelligent servi par une très belle plume.
J Yv a beaucoup aimé aussi.
'J'ai lu ce livre dans le cadre du Prix Inter-Ce. Cela commence fort...