"Toute la puissance du monde ne suffirait pas à transformer la haine en amour. On peut changer un adversaire en esclave, mais pas en ami. Tout le pouvoir du monde serait impuissant à faire d'un fanatique un modéré. Tels sont les problèmes existentiels de l'Etat d'Israël: convertir un ennemi en amant, un fanatique en tolérant, un vengeur en allié. Ai-je dit que la puissance militaire était inutile ? Le ciel nous en préserve ! Une telle ineptie ne me serait jamais venue à l'idée. Je sais comme vous que c'est la force, notre puissance militaire, qui s'interpose entre nous et la mort, à tout moment, même maintenant, pendant que nous parlons. En attendant, user de la force peut nous éviter d'être exterminés, à condition que nous nous rappelions toujours, à chaque instant, qu'elle n'est qu'un moyen de dissuasion. Elle ne réglera ni ne résoudra rien. Elle ne pourra que différer provisoirement la catastrophe".
J'ai découvert Amos OZ en 2012 en parcourant son chef d'oeuvre "Une histoire d'amour et de ténèbres". J'avais été très impressionnée par ce récit très érudit dans lequel l'écrivain israélien évoque ses racines familiales et son enfance à Jérusalem. Cette lecture m'avait permis de mieux comprendre le contexte de la création de l'état d’Israël.
Dans "Judas", il est de nouveau question de la création d’Israël mais le sujet est abordé sous l'angle romanesque. L'intrigue se situe en 1959 à Jérusalem. Le jeune Shmuel Asch se fait embaucher comme garçon de compagnie chez Gershom Wald, un vieil original qui partage sa maison avec une très belle femme qui a l'âge d'être sa fille. Il faudra un peu de temps au jeune homme pour comprendre le lien qui unit ces deux personnes. Bien que le vieil homme dissuade Shmuel se rapprocher d'elle, le jeune homme ne pourra résister à sa troublante beauté.
La principale fonction du jeune homme consiste à discuter à bâtons rompus avec le vieil homme afin d'atténuer sa solitude. Leurs passionnantes conversations tournent autour de l’inépuisable sujet de la cohabitation des juifs et des arabes en Israël mais également du thème de mémoire qu'avait entamé Shmuel avant de renoncer à ses études de théologie : "la question de Jésus dans la tradition juive". Peu à peu, en confiance, le vieil homme accepte d'évoquer son passé et la mort de son fils unique, dont il ne s'est jamais consolé.
L'auteur parvient adroitement à faire le lien entre les opposants à la création unilatérale d’Israël, taxés de traîtres, et la figure de Judas (dont il propose une autre vision, celle d'un homme incompris qui aimait Jésus et voulait le faire connaitre de tous). Il faut savoir qu'Amos Oz milite, depuis la création d’Israël, pour la recherche d'un compromis entre palestiniens et israéliens. Comme Judas, il a été taxé de traître par les siens et s'est senti incompris.
"Judas" est une lecture assez exigeante mais passionnante pour qui s'intéresse aux thèmes évoqués : la création d’Israël, la naissance du Christianisme, le poids des religions dans la société...
Pour mieux comprendre la genèse de ce livre, voici une interview très intéressante d'Amos OZ.
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"Judas" sort aujourd'hui, 18 août, en librairie et je me réjouis d'avoir pu le lire en avant première grâce à une opération "Masse Critique" de Babelio.