Phébus - avril 2014 - 150 pages
"Jeanne reste d’abord plantée sur sa chaise, tout entière à le regarder et le fuir. Elle sait où il faut voir pourtant, où il faudrait chercher, mais ça bondit, ça lui échappe. Ce qu’elle comprend c’est qu’il est grandi, et beau dans son uniforme, et étranger aussi.
Elle ne se dit pas, il est là, elle se dit, c’est là. Cette chose inconnue qui lui vient. Ce qu’elle craignait, ce qu’elle désirait. C’est là. Ça va entrer, ça va faire sa vie avec elle, avec Léo aussi, ça va venir là, dans cette chambre par eux si peu partagée depuis qu’ils ont quitté Belleville".
Nous sommes en octobre 1918, à la fin de la guerre. Jeanne vit seule avec sa petite fille. Son mari Toussaint est à l'hôpital, défiguré par une blessure de guerre. La jeune femme sait que son homme ne reviendra pas intact, que son visage a subi des dégats irréversibles. Elle appréhende ce retour car Toussaint a refusé ses visites à l'hôpital. Le retour au foyer prend Jeanne par surprise. Après le choc de le voir arriver à l'improviste, la jeune femme découvre son nouveau mari. Il porte désormais, nuit et jour, un bandage blanc sur le visage. Il ne parle plus et se dissimule pour manger. Le soir, il se tourne vers le mur, quand Jeanne se couche. Mais la jeune femme est patiente et tente de l'apprivoiser tout doucement...
C'est une belle histoire d'amour, servie par une écriture ciselée. Les silences et les non-dits comptent autant que les mots, choisis avec soin. De très jolies métaphores s'épanouissent sous nos yeux, au fil des pages. L'auteure s'est beaucoup documentée sur la vie quotidienne de ces années-là. Elle évoque très joliment le travail de Jeanne, qui compose à son domicile des fleurs en papier. Les conditions de vie étaient très rudes à cette époque et la priorité de chaque journée était de se chauffer et de se nourrir. Les femmes se privaient pour leurs enfants, travaillaient tard dans la nuit, jusqu'à épuisement et pour un salaire de misère. C'est le quotidien de Jeanne pendant la guerre et même après, car son homme ne sort plus, passant ses journées allongé sur son lit, incapable d'affronter le monde. Mais grâce à l'amour de Jeanne, l'espoir d'un retour à la vie se dessine peu à peu...
Après "Un territoire", pour lequel j'avais eu un coup de coeur, en voici un second...
Pour en savoir plus sur la genèse de roman, rendez-vous chez Gwenaelle, qui a posé quelques questions (pertinentes, comme toujours) à l'auteure.
Sinon, vous pouvez rendre visite à toutes celles qui comme moi ont aimé ce livre (je n'ai pas trouvé un seul avis mitigé) : Cathulu - Aifelle - Antigone - Gwenaelle - Clara